Les yeux dans les yeux [Penumbra & SweetWolf]

J'avais sommeil... Trop sommeil. Il faisait plutôt beau pour une journée d'automne. Ça avait pour effet de faire venir les clients, et je n'allais pas m'en plaindre. Agitant une de mes ailes de chauve-souris, je replaçai ma coiffe de Maid sur ma tête, c'était vraiment pas confortable ce genre de tenue pour travailler... Mais bon. Je devais m'y faire. Je n'avais ce travail que depuis quelques mois, et maman et moi, nous avions encore beaucoup de dettes à payer. A cause de papa... C'est pour ça que je déteste les mecs ! On peut pas leur faire confiance ! Et ne parlons pas de tous ces cochons qui traînent dans ce café... Juste pour aller mater des juments en costume de Maid.

Tiquant, je repris mon plateau, soigneusement rangé sous mon aile repliée, et un calepin sous l'autre. La porte s'ouvrit et un client entra. Machinalement, et avec un sourire commercial (c'est-à-dire en apparence parfait mais totalement faux), je prononçai la formule d'accueil classique du café...

- Bienvenue Maître ! ♥

Je me retenais de tousser... ou de m'étouffer, à voir. Ces quelques mots me donnaient la nausée. Mais je me stoppa nette en voyant à qui j'avais à faire : Un petit étalon jaune, à la crinière bleue en bataille s'était installé au comptoir. Il n'avait rien de très intimidant, non, en fait, il était même plutôt mignon... Hein ?! Je déraille là ! Bref. Je m'étais donc rendue au comptoir, arborant toujours mon sourire "parfait". Il tenait entre ses dents l'afichette de recrutement du café... Il voulait travailler ici ?

Tâchant de garder mon calme, je lui demanda simplement...

- Puis-je vous aider ?

C'était classique, mais je voulais surtout m'assurer de la raison de sa venue. Mais... Il me disait quelque chose... Comme si je l'avais déjà vu quelque part. Mais oui ! C'était plus tôt dans la journée ! Quand je faisais ma patrouille avec autres gars de mon groupe. Nous étions trois et ce petit étalon s'était approché, tout timide, pour demander où il pouvait trouver du travail. Un de mes collègues, un grand Pégase fort et musclé lui avait tendu le prospectus du Café Latte... J'avais reconnu le papier, mais je n'avais rien dit : Qu'est-ce que j'aurais pu dire ?!

Mais le voilà qui revenait... Et il m'avait reconnue. Je préférais me taire pour l'instant. Attendant sa réponse.

A vrai dire, plus je le regardais, plus son visage me disait quelque chose... J'avais dû peut-être l’apercevoir au château ? Alors qu'est-ce qui l'attirait ici ? Il était clairement mal à l'aise, et ça réconfortait moi aussi. Je posa un de mes sabots sur son épaule et je lui adressa un petit sourire amical, bien différent de celui de d'habitude : Certes, je détestais les mecs, mais ça ne m'empêchait pas d'essayer de détendre quelqu'un en plein stress. J'imagine que c'est une habitude de mon travail de garde... La poisse.

Je me glissa donc derrière le comptoir, posant mon calepin et mon plateau dessus en attendant que je lui prépare son café. Il n'était donc pas un client... Il voulait travailler ici. C'était problématique... Il n'y a que des filles qui travaillent ici. Simple question d'uniformité. Je fus donc assez surprise par sa déclaration, je ne m'y attendais clairement pas. Heureusement que je ne tenais pas la tasse quand il m'a annoncé ça, sinon, je l'aurais très certainement fait tomber. Je déposa donc sa commande sur le comptoir.

- Attention, c'est chaud.

En lui remettant sa tasse, accompagné d'un petit sucrier et d'un récipient avec du lait (il ne m'avait pas précisé tout ça, alors je lui ai fais un café simple), je jeta un œil à la salle. Simple réflexe de garde... Certains clients ne se gênaient pas pour toucher les serveuses, c'était interdit au sein du restaurant. Une règle qui n'était pas au goût de tout le monde, vous vous douterez bien. C'est donc en quelque sorte moi qui sert de vigile, étant donné que je suis garde, je sais me défendre, et mes collègues bien sûr.

Je reportai donc mon attention sur mon client, n'en revenant toujours pas... Je ne savais pas du tout ce qu'en penserait la gérante en fait. Elle et ses idées bizarres... J'avais peur pour le frêle étalon qui tremblait devant moi.

- Tu es sûr de vouloir travailler ici ?

Oui, j'avais arrêté de le vouvoyer, vu que ça devait le mettre mal à l'aise et puis, il n'était pas un client classique, il venait pour le recrutement. S'il devenait un de mes collègues, je n'allais pas continuer à le vouvoyer. Je préférais donc m'assurer de son choix avant d'aller demander...

Il me regardait bizarrement... Pour qui il se prend ? Il semble réfléchir. Avec un soupir, je m'appuie sur le comptoir, à moitié assise sur un tabouret. J'étais épuisée... Le travail de garde nocturne ne ramenait pas assez d'argent à la maison, j'étais contrainte de prendre ce boulot en plus. Quelle plaie. Et lui ? Il me jugeait ? A quoi pensait-il ? Il venait travailler ici par choix ? C'est tant mieux. Haussant un sourcil, mon regard se refroidissant peu à peu, je le fixais... Les yeux dans les yeux. S'il ne résistait pas à mon regard, il ne résisterait pas à celui des autres, d'autant plus que je me doutais de ce qu'il l'attendait, s'il se faisait réellement embaucher ici.

Le personnel du café était exclusivement réservé aux juments, afin de préserver le "charme" de l'endroit... Alors s'il voulait nous rejoindre, il devra... Enfin. Peut-être qu'il sera juste simple serveur. Je sais pas moi. Poussant un second soupir, je stoppai cette "bataille de regards" stupide.

*Sérieusement... J'ai quel âge pour faire ça... ?*

Je secouai légèrement la tête, reposant mon regard sur lui, avec un petit sourire. Il devait me prendre pour une tarée à changer d'expression d'une seconde à l'autre.

- Bois d'abord ton café, on ira voir la gérante après. Appelle-moi quand tu as fini.

Je repris mon plateau sous mon aile, trottinant vers la salle de service où plusieurs tables étaient dressées, soigneusement recouvertes de nappes couleur crème, s'harmonisant parfaitement avec les décorations de table et du restaurant en général, offrant un cadre chic mais pas snob, juste convivial. Ce café était agréable. Le seul problème c'est...

- Hé minette, j'ai une commande pour toi, héhé...

Les mecs. Tous pareils. Des cochons. Je m'approchais du client, mine de rien. C'est vrai que nos tenues attisaient les sens de certains clients... Certains plus que d'autres. Je me rapprochai de lui, lentement... Puis le chopa par la crinière, le traînant vers la sortie.

- Aucune remarque déplacée n'est tolérée dans cet établissement !

Tss... Je détestais ça. Ça m'était déjà arrivé de devoir botter des culs, mais là, je pouvais pas faire autrement. J'aimerais dire que "Heureusement que c'était moi et pas une autre collègue" car beaucoup étaient des licornes, plutôt frêles, elles ne savaient pas se défendre. J'étais une de ses seules pégases à travailler ici... Et la seule à faire correctement respecter les règles. Je claqua violemment la porte derrière le client abasourdi tandis que tout les regards étaient tournés vers moi. Je ne me démontais pas, j'assumais pleinement mes actes : Ces clients enfreignent les règles du café, il est de mon devoir de les exclure.

Remettant ma crinière en place, je me dirigeais, le pas déterminé vers le comptoir où l'étalon de tout à l'heure était toujours assis. Ça m'avait foutu en rogne ce truc... Il ferait mieux de se grouiller à boire son café avant que je lui fasse bouffer sa tasse. Les dents serrées, réprimant un grognement, je disparus derrière le comptoir, tâchant de me faire oublier en faisant mine de travailler. Mais le nouveau venu qui avait assisté à la scène, j'espérais juste que ça lui avait ouvert les yeux sur le travail d'ici. Et si après ça, il voulait continuer, tant mieux, j'ai d'autres choses en réserve pour le tester...