Black Hoof méditait.
Il avait les yeux clos.
Il entendit un craquement et dit simplement :
« Pourquoi viens-tu troubler ma méditation, Segoyewatha-o’komoxna-kayeme ? »Le poney terrestre fut gêné. Même s’il était l’apprenti du chaman et que c’était lui qui l’avait adopté, il était toujours très confus lorsqu’il dérangeait en pleine méditation Black Hoof. Après tout, son nom signifiait en equestrien « Little Field Mouse Not Very Merry », et il pouvait donc se permettre d’être à la fois gêné et pas très heureux de gêner, justement. De toute façon, il avait toujours l’air triste.
« Mon maître, je suis désolé, mais… »Black Hoof resta assis, les yeux clos, à humer l’air. Il ne dépêtrait pas un instant de son calme légendaire.
« Parle, Segoyewatha-o’komoxna-kayeme. »Little Field Mouse Not Very Merry dit, doucement, en baissant les yeux :
« Maître, le Grand Conseil de la Confédération du Coyote vous requiert pour…- N’en dis pas plus, Segoyewatha-o’komoxna-kayeme. »Le bison s’était relevé et était droit sur ses sabots. Little Field Mouse Not Very Merry manqua de lui rentrer dedans en relevant la tête.
« J’entends l’appel du Grand Conseil et répond favorablement à sa demande. Va, et préviens-les que je viens. »Little Field Mouse Not Very Merry inclina la tête en signe de respect et disparut à toute vitesse, pour prévenir que Black Hoof serait de retour parmi les siens.
***
Le jour où il naquit, les vieillards de sa tribu l’examinèrent. D’habitude, les examens ne donnaient rien de particulier ; parfois, un signe était envoyé, stipulant que le bison serait sous la protection de tel ou tel esprit. Ainsi, pouvait naître un bison au pelage d’un gris blanc, signe que Loup souhaitait qu’il devienne un grand brave, ou un bison aux yeux vairons, signe que le Coyote lui souhaitait de vivre comme un esprit libre.
Mais parfois, des signes plus exceptionnels apparaissaient. Des signes montrant que les esprits avaient choisis un jeune bison, et qu’un esprit se chargerait de son éduction.
Ce fut le cas pour Black Hoof.
Lorsqu’ils l’examinèrent, ils virent que Black Hoof avait été choisi par Corbeau, le plus puissant de tous les esprits. De mémoire de bison, cela n’était pas arriver dans tout le Mild West depuis plus de deux grands éons lunaires, soit plus de milles deux cents lunes. Autant dire que la nouvelle se propagea très rapidement parmi les chamans et les tribus de bisons et qu’elle fut extrêmement bien accueillie.
Black Hoof était destiné à accomplir de grandes choses.
***
Lorsqu’ils le virent arriver, tous les bisons se précipitèrent en dehors de leurs tipis. Tous étaient curieux de savoir pourquoi les chefs des tribus de la Confédération du Coyote avaient fait appel au grand Black Hoof. Ils formaient une sorte de haie d’honneur, car tous s’inclinaient au passage du vénérable chaman. La vingtaine de chefs de la Confédération étaient présents. En voyant le chaman, ils se couchèrent respectueusement, face contre sol.
« Que le Coyote et le Corbeau veillent sur nous et nous protègent de leur grandeur. Qu’Aigle porte notre regard loin, que Chat nous emplisse de joie, que Chien nous emplisse de loyauté, que Loup nous mène jusqu’au dernier jour, qu’Oiseau Tonnerre nous apporte le courage, qu’Ours nous montre la sagesse et que Vipère nous soigne. »La fameuse formule rituelle. Pour les bisons, cela signifiait que l’heure était grave.
Lorsqu’ils se relevèrent, Black Hoof s’inclina.
Puis, après quelques instants, il se releva. Les chefs baissèrent respectueusement la tête.
« Ow, Tsen-moketa-v-tomahaah. Nous t’attendions pour commencer la réunion.- J’entends votre requête, Grand chef Haskenadiltla. »Ils entrèrent dans le tipi des Chefs.
***
La jeunesse de Black Hoof fut celle d’un bison standard : d’une grande simplicité, à jouer avec les autres jeunes bisons et à écouter les histoires des anciens de la tribu.
Mais bientôt, son destin le rattrapa : chaman était-il destiné à devenir, chaman deviendrait-il. Aussi, lorsqu’il eut passé cent trente lunes, il devint l’apprenti du chaman de sa tribu, Zako-yea. Son nom signifiait Devious Coyote, un nom correspondant tant il fut rusé et doté d’un humour bien trempé.
Avec lui, Black Hoof apprit tout ce qu’un chaman devait connaître : les plantes qui soulageraient ses ouailles, les légendes de son peuple, l’histoire des tribus, la géographie du vaste Mild West, le conflit avec les colons, les animaux, le combat. Puis, lorsqu’il eut fini de s’endurcir, Black Hoof dut laisser Devious Coyote : son heure, disait-il, était venue. Quant à son jeune disciple, il devait maintenant partir pour les Black Hills. Sa formation pratique commencerait là-bas. Mais pour cela, il devait y passer un cycle lunaire complet.
***
Dès que le calumet eut circulé, le Grand chef Crazy Crow prit la parole.
« Tsen-moketa-v-tomahaah, nous n’en pouvons plus. Les poneys colons méprisent ouvertement nos coutumes, s’accaparent nos terres, nous chassent et nous combattent dès qu’ils en ont envie, et pire que tout, ils… »- Violent nos terres les plus sacrées. Je le sais. Des orpailleurs se sont installés dans les Black Hills. »Black Hoof avait entrouvert les yeux.
« La Confédération du Coyote a décidé de prendre le sentier de la guerre, n’est-ce pas ?- Oui, vénéré Tsen-moketa-v-tomahaah. » répondit humblement le Grand chef.
Un autre chef continua à la place de Crazy Crow :
« Nous avons requis l’aide de la tribu de Tu-uk-kumah et d’autres chefs. D’ici, quelques semaines, ils répondront à notre appel, favorablement ou défavorablement. Mais quoiqu’il en soit, pour nous, notre choix est fait. La Confédération du Coyote a été créé pour nous unir face à l’adversité, et aujourd’hui, nous allons faire ce qui doit être fait. Aujourd’hui, nous avons décidés que nous devions reprendre toutes nos terres. Les poneys auront le choix entre le départ ou la destruction. Aussi… »Tu-uk-kumah avait été lui aussi appelé ? Sa grande tribu avait déjà affronté les poneys d’Appleloosa. Le combat avait failli être une victoire, lorsqu’ils s’étaient rendus compte qu’une relation d’entraide mutuelle pouvait être plus bénéfique. Mais les colons d’Appleloosa étaient implantés depuis plusieurs décennies et connaissaient les mœurs des bisons. Ce n’était pas le cas de tous ces nouveaux arrivants, cupides, vaniteux et agressifs.
Crazy Crow reprit la parole :
« Nous voulions avoir la bénédiction des esprits et ton soutien pour nos braves. »Black Hoof ferma les yeux.
« Nous sommes habituellement pacifiques, mais je comprends nos braves, nos bisonnes et nos enfants. Cela n’a que trop durer… Mais je dois néanmoins faire une objection. »Les chefs tendirent l’oreille.
« Je veux que vous me laissiez trois lunes pour que je rencontre les grands chefs des poneys. Mon voyage me prendra sûrement du temps, mais je pense que Ceux-Qui-Lèvent-Le-Jour-Et-Font-Tomber-La-Nuit pourront nous aider. »L’évocation de Luna et de Célestia entraîna des murmures parmi les chefs. Pour les bisons, situés à un mois de train de Canterlot, soit des centaines de lieues, c’étaient des personnalités quasi-mythiques.
Black Hoof se leva.
« Si je ne suis pas revenu avant cette date, ou que mes tentatives de négociations furent infructueuses, alors… Mes frères pourront déterrer le totem de guerre et le mettre en lieu et place de notre totem habituel. »Sans qu’ils ne disent un mot, les chefs laissèrent partir le chaman.
***
Black Hoof souffrait.
Le froid, la neige.
La saison était cette année particulièrement rigoureuse dans les Black Hills.
Rien à manger.
Son ventre gargouilla. Cela faisait déjà deux semaines qu’il n’avait plus mangé.
C’était donc ça, l’expérience mystique ? Mourir ?
Le jeune Black Hoof sentit la colère monter en lui.
« Qui êtes-vous, satanés esprits ? Qui êtes-vous pour m’imposer cela ? »Il leva un sabot vengeur vers le ciel.
« Je vous hais ! Vous n’avez jamais existés ! Jamais ! Vous n’êtes que des illusions ! »Black Hoof s’effondra dans la neige, en pleurant.
Il entendit un croassement derrière lui.
« Fiche le camp, saleté… »Un deuxième croassement, plus appuyé, se fit entendre.
« Fiche le camp ! » hurla Black Hoof, le visage gonflé par la colère, les regrets et la haine.
« Je prends la peine d’apparaître et voilà comment tu me remercies, Tsen-moketa-v-tomahaah ? Tu n’as décidément aucune gratitude. » répondit sarcastiquement le Corbeau.
Black Hoof eut un moment de silence.
« Corbeau… Est-ce toi ? »- Qui veux-tu que ce soit ? Un pégase ? »Black Hoof se tut.
« Pourquoi tout ça ?- Pour te mettre à l’épreuve, Tsen-moketa-v-tomahaah. Tu as fini par perdre la foi dans l’adversité. Mais tu as mis longtemps. De nombreux bisons ont lâchés avant toi. Quelques-uns ne l’ont jamais perdus. Mais toi, tu as été malgré tout brillant. »Corbeau s’envola, transformant l’arbre décharné et mort en un superbe pommier.
« Tu l’as bien mérité. Continue ton périple, Tsen-moketa-v-tomahaah. Montre-toi digne de ton maître et de ton totem.- Te reverrai-je ?- Quand ton périple sera terminé, alors tu auras ouvert les yeux sur le monde des esprits. Et tu nous verras tout le temps. Patience, Tsen-moketa-v-tomahaah. »Corbeau s’envola dans le ciel noir des Black Hills.
Black Hoof, lui, dit simplement :
« Merci. »***
« Segoyewatha-o’komoxna-kayeme, ton heure est venue. Si Loup t’a choisi, c’est qu’il y a une raison. Même si ton initiation n’est pas complète, tu prendras ma place. À mon retour, tu feras comme chacun de nous : tu partiras dans les Black Hills. »Little Field Mouse Not Very Merry répondit
« Mais, maître, je suis…- Personne n’est jamais prêt, Segoyewatha-o’komoxna-kayeme. Personne ne l’est jamais pour une telle expérience. Mais il faudra t’y soumettre. »Black Hoof commença à s’éloigner.
« Maître… demanda Little Field Mouse Not Very Merry.
Qu’arrivera-t-il si vous ne réussissez pas ?- La pire des choses, Segoyewatha-o’komoxna-kayeme. Pour nous comme pour eux. Cela sera... La guerre. »~ Famille : Black Hoof n’a, évidemment, plus aucun lien avec sa famille. Sa tribu habite en effet à des lieues des tribus qui forment la Confédération du Coyote et la tradition impose aux chamans de rompre leurs liens avec leur tribu d’origine. Il considère tout simplement les bisons de la Confédération du Coyote comme ses protégés et ses enfants.